18.3.08

Laâyoune - voyage dans une guerre …psychologique


Le Journal Hebdomadaire
17.03.08


La ville de Laâyoune est le principal théâtre d'un conflit qui dure depuis plus de 33 ans. Manifestations d'indépendantistes, vrais-faux «ralliés», propagandes et crises sociales, les enjeux sont réels. Reportage à Laâyoune, capitale du Sahara occidental.

Sur un terrain vague et aride, dans l'une des innombrables décharges à l'air libre que l'on retrouve id et là, des d1èvres, des ânes et des moutons cherchent désespérément de la nourriture. La poussière qui sévit prend souvent la forme de tempêtes harassantes et chroniques, auxquelles les habitants n'arrivent pas à s'habituer, Lorsqu'elles se lèvent, ces tempêtes un mélange de sable fin, de débris et de sacs de plastique noirs- se déploient en faisant naître une ambiance d'apocalypse. Il est midi trente à Laâyoune, dans le Camp Al Wahda» (l'Unité) l’équivalent des Carrières centrales de Casablanca, c'est à-dire un bidonville ‘chargé d'histoire’ ou’ s'entassent des dizaines de milliers de Sahraouis vivant dans des conditions difficiles. Dans l'une des petites mosquées ‘arrangées’ à mesure que le camp s'élargit, des «fidèles» se pressent pour la prière du vendredi. Car pour atteindre les premières baraques du bidonville, il faut parcourir entre trois et cinq kilomètres, souvent à pied. La ville de Laâyoune est en effet divisée en trois types d'habitations. D'abord celles des nantis, qui trônent autour du centre-ville et dans les principales artères des quartiers huppés de la ville, Ce sont généralement des résidences appartenant aux notables sahraouis qui profitent pleinement, depuis 1975, de la stratégie clientéliste du Maroc. Ces notables sont de plus en plus contestés par les jeunes Sahraouis qui manifestent régulièrement dans les mes du quartier Maâtallah, décrit par les observateurs comme le fief des indépendantistes. Ce quartier est constamment quadrillé par les forces de l'ordre. La deuxième catégorie d'habitations est formée par ces blocs de maisons uniformes que l'on retrouve, dans la plupart des villes marocaines. Elles sont majoritairement peuplées de ceux que l'on appelle «les Sahraouis de l'intérieur», ces Marocains dont la «migration» est encouragée par l'Etal marocain pour «gonfler les villes du Sahara occidental. Enfin, les camps d'Al Wahda, que l'on désigne par le terme «Al Moukhayamate». Ils cristallisent, selon nombre d'observateurs, l'échec de la politique sociale du Maroc dans «ses provinces du sud». En réalité, la ville de Laayoune est à elle seule un enjeu politique important. Le moindre incident, la moindre «contestation» prennent des formes symboliques, avec, bien souvent, des implications politiques d'un côté comme de l'autre. C’est la ville la plus peuplée du Sahara occidental, et le nombre de ses habitants croît de jour en jour. La majorité des «ralliés» (ceux qui quittent les camps du Polisario, près de Tindouf, pour regagner le Sahara occidental) la choisissent comme point de chute et, dans la majorité des cas, s'y installent. Mohammed Lamine fait justement partie de ces Sahraouis qui ont fraichement regagné Laâyoune, ville qu'il avait quittée un jour de 1975, alors qu'il avait à peine seize ans. Le Polisario, il l'a intégré par principe et par idéal dès son plus jeune âge. L’histoire ci cet homme résume à elle seul les déceptions de toute une génération de Sahraouis. Mohammed Lamine faisait partie du prestigieux régiment Ouali Mustapha Sayyed, qu'il a vu mourir dans le champ de bataille en 1976, en Mauritanie. "Mohammed Abdelaziz a’ succédé a’ Ouali Mustapha Sayyed, qui était, de loin, le plus charismatique de tous les chefs sahraoui», raconte-l-il. Mohammed Lamine est ensuite fait prisonnier en Mauritanie, jusqu'en 1981. A sa libération, il rejoint de nouveau le Polisario, mais ne tarde pas à déchanter; contrairement à Ouali Mustapha Sayed, Mohammed Abdelaziz est trop lié à l'Algérie, Cette conception du Polisario n'est pas la sienne. Son Polisario à lui doit être un mouvement libre et autonome. Il décide alors de prendre certaines distances, plonge dans les études et opte pour les cours par correspondance. En 2002, il est sollicité par le ministre de la Défense du Polisario, Mohamed Bouhali, pour occuper le poste de directeur des «Affaires des martyrs»: «j'ai accepté cette proposition mais, a’ l'époque, l'idée de rentrer au Maroc commençait déjà à germer». Pourtant, grâce à ce poste, Mohammed lamine aurait pu mener une vie stable, voire assez confortable. Plus, il aurait pu évoluer dans la hiérarchie polisarienne. Certes, il s'est toujours méfié de la rigidité de certains responsables du Polisario, mais il a cru au ‘projet socialiste égalitaire’ et un peu idéaliste de ce mouvement, il y a cru. Pendant longtemps il y a cru. Mais le 9 septembre 2006, ce qui était une simple idée, une intention un peu vague de quitter les camps pour ‘rejoindre le Maroc’ s'est transformée en un acte concret.

Le retour ou le parcours du combattant

Ce jour-là, comme la majorité de ceux qui décident de quitter les camps, il opte pour la voie terrestre. en direction du nord de la Mauritanie. C'est un choix qui suppose un parcours classique et connu de tout le monde. Des camps de Tindouf comme point de départ vers Zouirate (entre le Sahara et la Mauritanie), les «ralliés» doivent transiter par le poste d'Al-Hamra, contrôlé par le Polisario. Mais il suffit de montrer une pièce d'identité pour passer en territoire mauritanien. Le trafic y est même fréquent en raison du commerce auquel se livrent aussi bien les Sahraouis que les Mauritaniens. Cela signifie que les Sahraouis des camps, contrairement à la propagande marocaine, ne sont pas des séquestrés, mais bien des réfugiés. La seconde étape commence à partir de Zouirate. De cette petite ville mauritanienne, le voyage devient une simple question de temps, avant d'atteindre Nouadhibou, où un consulat marocain traite les demandes des arrivants sahraouis désireux de rejoindre le Maroc. La réponse des autorités consulaires du royaume peut être rapide, mais parfois elle prend deux à trois mois. Ceux qui sont autorisés à passer se dirigent généralement vers Dakhla. Pour le cas de Mohammed Lamine, eu égard à son poste et à son statut, les choses se sont passées autrement: «un avion militaire ma transporte’ Dakhla a’ Agadir, ou je suis resté pendant un mois au club des officiers. C'était bien ... Ensuite, je fus emmène a’ Rabat, au ministère de l'Intérieur puis dans un grand hôtel, où je suis resté plus d'une semaine. On m'a promis beaucoup de choses: une maison, un emploi, un salaire conséquent .. »

Dans l'attente de la «cartiya»

De retour à Laâyoune, Mohammed Lamine recevra une simple «cartiya» (un document lui permettant de recevoir une pension mensuelle de 1.500 dirhams par mois). il a failli habiter, lui aussi, dans le bidonville d'Al Wahda, comme beaucoup de «ralliés». Mais, finalement, il a décidé, avec trois autres fàmilles proches, de louer une maison où s'entassent aujourd'hui une vingtaine de personnes. Les promesses de travail, de salaire et de maison? Évaporées dès son retour à Laâyoune. Mais Mohammed Lamine ne regrette pas ses choix. Il voulait rentrer au Maroc parce que, pour lui, l'idéal qui l'avait poussé, un jour à «embrasser la cause du Polisario n'a plus de sens maintenant» . Ce qui lui fait le plus de mal, c'est le fait qu'étant un homme d'action, il se retrouve aujourd'hui acculé à ne rien faire. à attendre sa «cartiya» chaque mois pour survivre. Parfois, lorsqu'il marche dans les quartiers de Laâyoune, il regarde ces résidences fastueuses qui ornent les principales rues, et dont il connait quelques propriétaires. Certains étaient à ses côtés, dans les rangs du Polisario. D'autres avaient servi sous ses ordres.

Au même moment, l'on apprend que de nouveaux «ralliés» sont installés dans un grand hôtel à Laâyoune, face à la mer. Une quarantaine de familles- Selon la version officielle, ces nouveaux «ralliés» avaient tenu, le 27 février dernier, un «congrès» parallèle à celui du Polisario, dans un lieu appelé Agiijimate, lors ce «congrès» parallèle, ils auraient exprimé leur «soutien» à la proposition marocaine d'autonomie avant de «rallier», le royaume à bord de véhicules 4-X4. Les deux chaînes étatiques marocaines, outre la télévision régionale de Laâyoune, relayent cet «événement» à longueur de journée. Mais lorsque les anciens «ralliés» entendent ces histoires, ils sourient un peu. L’un d'eux déclare: «A l'exception de trois ou quatre, ces soi-disant rallies habitaient tous en Mauritanie. Le «porte-parole» de ces nouveaux «ralliés» s'appelle, en effet, Hammada Oul Derwich il est né et a toujours vécu en Mauritanie. Candidat malheureux lors des dernières élections… mauritaniennes, Oul Derwich était, pendant longtemps, directeur du port de ... Nouadhibou.